La peau de chagrin : cuir haut de gamme et histoire surprenante
L’histoire du chagrin
Le chagrin ou la peau de chagrin est, à l’origine un cuir d’onagre (âne sauvage), de chèvre ou de mouton, servant jusqu’au XIXe siècle à la couverture et à la reliure des livres. Ce type de cuir n’est pas lisse. Il présente des aspérités rondes très régulières à sa surface. Ce grain, très apprécié des bibliophiles, est produit d’une manière quelque peu surprenante.
Après que la peau ait été ramollie dans un bain d’eau, elle est étendue sur un châssis. On répand ensuite, sur le côté chair la semence dure et noire de l’Arroche sauvage. Après quoi, on la piétine ou on la presse pour que les graines y pénètrent profondément et on passe au séchage. Quand la peau est devenue sèche, elle est secouée pour en faire tomber ces graines. Le cuir parait alors criblé de petits cratères, empreintes des graines. A la suite, d’autres interventions de réhydratation ou de graissage font augmenter le volume des parties déprimées, qui, en se soulevant, donnent naissance aux tubercules que l’on veut produire.
La fabrication du chagrin prit de l’importance vers 1830. Les artisans de l’époque opéraient sur des pièces taillées à la demande des relieurs. Ils y faisaient le grain au moyen d’une planche gravée que l’on appliquait sur le cuir après l’avoir chauffée à une température peu élevée. Mais ce grain n’avait pas la régularité ou la fermeté désirée. Il disparaissait souvent en partie lors des manipulations des relieurs. D’autres techniques furent utilisées afin d’obtenir un cuir avec la même qualité et les mêmes reliefs.
Joseph Thouvenin réinvente le chagrin
Joseph Thouvenin, un des relieurs les plus importants du XIXe siècle, semble être le premier qui ait chagriné le cuir à la main. Il travaillait les peaux avec une paumelle ou un liège et obtenait ainsi un grain ferme et serré. Le cuir ainsi obtenu fut immédiatement très recherché et son atelier recevait énormément de commandes. Ce procédé avait malgré tout deux défauts : il était dispendieux et chronophage.
Afin de permettre la production de plus grosses séries et le travail sur des peaux entières, il restait de gros progrès à réaliser. Ce ne fut qu’après une multitude d’essais que l’on parvint à produire un chagrin à grain égal, serré, mat au fond et à la surface brillante.
Plusieurs solutions furent trouvées, qui offrent un produit d’assez bonne qualité. Des paumelles striées permettent de marquer la peau dans tous les sens. D’autres paumelles peuvent être utilisées, mais où les stries sont remplacées par un morceau de peau de chien marin (poisson de mer ayant une peau très dure). Une dernière méthode, mécanique, consiste à passer le cuir dans des sens différents, entre des cylindres garnis de cannelures très fines disposées en spirale. Le grain fourni par ces machines n’aura, malheureusement par la même durée de vie. De nos jours, certaines peaux exotiques peuvent subir le chagrinage : requin, serpent, lézard, autruche, perche du Nil, caïman, buffle, esturgeon, saumon, phoque, …
Le stockage de ce type de cuir est aussi particulier que son obtention. Il se fait se fait dans du papier, dans un local climatisé, les peaux grainées roulées côté fleur (extérieur) vers l’intérieur
Un autre aspect intéressant lorsqu’on parle de peau de chagrin est l’origine de ce nom. Certains attribuent l’origine de cette appellation au mot « sagri » signifiant croupe en turc. Les premiers chagrins provenant de croupes d’ânes ou de mulets. Une autre explication, plus romanesques, l’explique par le crissement de la peau lorsqu’on la froisse.
Balzac s’inspire du cuir de chagrin
L’expression se réduire comme une peau de chagrin, tire son origine de la nouvelle d’Honoré de Balzac, parue en 1831. Dans ce texte, un jeune homme ruiné se voit offrir un morceau de chagrin aux pouvoirs magiques. Quand il le frotte, ses vœux sont exaucés. Mais quand, à force de frottements, la peau disparaîtra, il mourra.
Pour morale, il doit choisir entre une vie parfaite mais courte ou une vie modeste et plus longue.